Éloïse, enracinée et connectée
Éloïse Gross, 18 ans, est maraîchère. À coups de posts Instagram, la ferme familiale de Domangeville en Moselle se fait connaître. Into the wild 100% bio et ondes positives "only". Rencontre coup de cœur.
Qu’est-ce qui t’a amené au maraîchage ?
Mon père Georges. Il a repris la ferme en 2001. Il y a quelques années, avec ma sœur nous voulions gagner un peu d’argent. Du coup, nous avions pris un petit verger et nous commercialisions nos produits le samedi au marché. C'était chouette. Et, en quatrième, j’ai décidé d’arrêter l’école et de suivre les cours par correspondance pour me consacrer entièrement au maraîchage.
Qu’en pensaient les professeurs ?
Ils n’étaient pas très chauds ! Mon père était pour. Mes profs me disaient des choses comme « tu ne vas pas arrêter les cours pour devenir paysanne ». Pour eux c’était choquant ! Maintenant ils viennent me chercher des légumes ! Et ils sont très fiers.
Comment vous répartissez-vous le travail avec ton père ?
Lui travaille tout ce qui est machinerie — le gros travail de la terre en somme — les semis et moi davantage tout ce qui concerne les arrosages, les plantations, l’entretien des cultures, les récoltes, les plants en pots… évidemment rien de fixe. Pas un jour ne se ressemble !
Qu’est-ce que tu as apporté depuis tes 15 ans ?
J’ai apporté les réseaux sociaux qui changent beaucoup de choses pour nous. Je construis une communauté autour de la ferme et puis la jeunesse sans doute aussi parce que j’ai donné un petit coup de boost quand même ! Et mon père ça l’a motivé que ses filles travaillent avec lui. Je veux toujours faire plus !
Combien êtes-vous à la ferme ?
Nous travaillons beaucoup en famille. Nous sommes cinq : il y a Agathe ma sœur de 22 ans, notre père Georges, une autre Eloïse, une apprentie et un nouveau saisonnier Romain, originaire du Mans.
Quel est le problème le plus important aujourd’hui pour le maraîchage ?
Clairement, la sécheresse ! Pour les tomates, j’utilise des variétés anciennes, plus résistantes, comme la tomate ananas ou la noire de Crimée, la cœur de bœuf, la rose de Berne et la blackferry.
Comment aimes-tu cuisiner les légumes ?
Juste poêlés. Une poêlée du mois d’avril : blettes, carottes et petites navets nouveaux. Je mets une pointe de curry, du sel et du poivre et un peu de crème ! Et la crème est bien sûr d’un petit producteur !
Et la viande ?
Je mange peu de viande, mais bien. Deux ou trois fois par semaine. J’aime bien les plats en sauce comme le bourguignon ! J’adore !
Le challenge de 2021 ?
J’ai un projet de nouvelle serre ! Il y a une serre chauffée et trois serres froides. Et bien sûr développer nos réseaux sociaux !
Est-ce accepté d’être une femme dans un milieu plutôt masculin ?
Chez les jeunes, absolument ! Il peut y avoir quelques machos chez les plus anciens qui peuvent penser que c’est un métier d’homme. Mais je ne fais pas attention à ce qu’ils disent.
Qu’est-ce qui a changé entre ces deux générations ?
Sans doute le fait qu’aujourd’hui on ait envie d’avoir une vie à côté, une « vie normale ». Le confinement a changé la donne, notre temps est totalement dédié au boulot et c’est difficile d’avoir du temps pour soi. Moi j’ai besoin de rencontrer des gens, de prendre le temps de voyager. Je pense que mon père se privait et ça je pense que c’est une question de génération.
Consommer mieux et moins commence déjà par l'apprentissage des saisons et pour cela il n’y a qu’une seule solution : aller au marché, acheter local ou direct producteur.
Est-ce que le confinement a changé l’image du maraîchage ?
Oui, au premier confinement. Beaucoup de gens ont découvert que juste à côté de chez eux il y avait de super produits. Nous étions « les meilleurs ». Si nous avons eu la chance de conserver une partie de cette nouvelle clientèle, nombreux sont ceux qui ne sont plus du tout revenus après.
Qu’est-ce que vous allez améliorer dans la ferme ?
Nous allons encore plus loin sur la réduction du plastique pour les serres. Nous allons utiliser du plastique réutilisable pendant dix ans. Côté traitement : zéro. Rien. Même ceux qui sont utilisés et tolérés en bio ne sont pas dans nos méthodes de travail. Et bien sûr tous nos emballages sont sans plastique.
Qu'est-ce que tu penses du véganisme ?
Je pense qu’il faut manger mieux. Si tu consommes déjà des produits de petits producteurs, locaux et bio quand c’est possible c’est bien. Il faut manger de la viande ! Mais mieux ! Mieux et moins. Quand j’achète de la viande, c’est uniquement à des petits producteurs. Il y a des vegans qui mangent des produits importés qui sont pire que la viande locale comme l’avocat, la patate douce ou le soja.
Ça veut dire quoi consommer mieux et moins ?
Consommer mieux et moins commence déjà par l'apprentissage des saisons et pour cela il n’y a qu’une seule solution : aller au marché, acheter local ou direct producteur. C’est bon pour la planète et pour l’organisme. En avril on a déjà le retour des poireaux, des carottes mais dès le mois de de mai va être fantastique : navet , petits pois, choux rates, chou chinois, des carottes nouvelles, la rhubarbe, les brocolis, les herbes, le persil, le romarin, la ciboulette, les salades…
Qu’est ce qui a changé avec la pandémie ?
Ma vie sociale. Il y a quelque chose de perdu. Avant avec les amis on se voyait deux à trois fois par semaine. Sur les marchés, on ne peut plus aller prendre le café. La vie est vachement triste. Il n’y a plus que le boulot. Je me plains mais je suis à la ferme, je vois la nature, je vois des gens. Je sais que ce n’est pas forcément le cas de tout le monde.
Pourquoi nous aimons
Sur une de ses photos, Éloïse Gross se joue des codes de la mode et utilise le titre de Vogue en arrière plan. C'est évidemment un trucage mais l'idée de la retrouver en une d'un tel magazine serait rafraichissante. La mosellane a tout pour. Elle est en effet un modèle. Et chassons vite le mot "inspirant". Face à des professeurs condescendants qui souhaitaient la dissuader de travailler dans le maraîchage auprès de son père Georges entre "passe ton bac d'abord" et "tu ne vas pas devenir paysanne tout de même", elle a tenu bon et a mené de front poursuite scolaire et travail dans les champs. Chapeau. Son compte Instagram est trop vivant et coloré pour être un pied de nez aux esprits étroits. Elle est au-dessus tout cela, elle pense à demain, bien enracinée. Ses publications reflètent cet optimisme et une joie de vivre qui font du bien : c'est gai, enchanteur, simple, sain. Il fait bon y flâner et découvrir un quotidien sans retouches, simplement et joliment mis en scène avec un talent certain pour la photographie et le cadrage. Là ses mains terreuses, puis son dos qui soudain coince à cause d'une mauvaise posture, ici le tracteur dans les terres gelées de Moselle, et voilà déjà la récolte de l'aillet nouveau... Éloïse n'a pas attendu les apôtres du monde d'après pour changer son monde tout en restant libre. Elle n'est pas militante sectaire comme ceux qui trouvent leur chemin de Damas sur le tard, elle bosse parce qu'elle est née dedans, qu'elle aime ça et que la petite affaire familiale se vit comme une affaire locale à faire tourner. Oui, il y a des jours difficiles. Les longues nuits d'été à tenter de sauver quelques récoltes attaquées par la sécheresse en sont. Mais les matins, il y a aussi sa nature, son paysage, sa terre. Elle y avance, sans fanfaronner, avec un grand sourire plutôt qu'avec des grands discours. Le résultat ce sont ces légumes généreux, souriants et forcément très bons à retrouver sur les marchés de Metz et Thionville !
Acheter les produits de la ferme de Domangeville
Les produits de la ferme sont en vente sur les marchés de Metz et de Thionville en Moselle. Vous pouvez aussi vous rendre à la ferme de Domangeville qui se trouve à Pange en Moselle, à 20km de Metz.