Kreuther, Alsace Power
À New York, loin de la France, le chef Gabriel Kreuther, porte haut la culture alsacienne entre esprit rhénan et finesse française.
Nul n'est prophète en son pays dit l'adage. À Paris, peu le connaissent et pourtant le restaurant éponyme du chef Gabriel Kreuther est une institution à New York. Installé en plein cœur de Manhattan, entre la 5e et la 6e avenue, au pied d'une élégante et élancée tour construite par Gordon Bunshaft en 1974, l'établissement se classe dans le domaine de la haute gastronomie mondiale. Doublement étoilé au guide Michelin, lauréat du prix James Beard, membre des Grandes tables du monde ainsi que du réseau Relais & Châteaux, l'Alsacien a gardé le tranchant de son accent et la franchise des exilés volontaires. Si la haute cuisine alsacienne tutoie les sommets dans son terroir, Gabriel Kreuther la mène à être reconnue loin de ses bases à la suite d'autres grands alsaciens comme Jean-Georges Vongerichten. Depuis peu, une chocolaterie, Kreuther Handcrafted Chocolate, est venue agrandir la famille gourmande du bas-rhinois. Adoubée par le célèbre site Eater qui la classe parmi les meilleures adresses aux Etats-Unis elle a fait mieux que résister à la pandémie en développant la vente à distance. Entretien 100% American spirit !
Comment se passe la vie à New York aujourd’hui ?
Nous avions rouvert le 15 septembre. Et je dois dire que dans notre malheur, nous avons eu de la chance, nous avons réussi à faire une jolie petite terrasse et — même lorsque tout était fermé — nous avons réussi à maintenir la chocolaterie avec une activité de production et de vente en ligne.
Est-ce que c’est rentable d’ouvrir ainsi ?
Il y a des coûts bien sûr ! Mais nous avons décidé de faire quelque chose. C’est d’abord rentable humainement parce que nous continuons à exister, à nous battre, à défendre notre cuisine et notre savoir-faire. Ensuite, un restaurant doit « tourner ». Comme une voiture. Si vous laissez votre voiture 6 mois au garage, il y a des chances qu’elle ne redémarre pas correctement. La faible activité à permis d’entretenir, de nettoyer, de maintenir les savoir-faire et les équipements. La dégradation c’est aussi dans l’arrêt total des machines. La chocolaterie nous a permis de maintenir la machine et la cuisine en marche. Les gars ont voulu vendre le chocolat, continuer. Ils étaient trois même dans les moments les plus difficiles. J’ai veillé à ce que cela soit dans les meilleures conditions sanitaires. Ça a aidé à maintenir le lieu en vie.
Et qu’en est-il des autres savoir-faire ?
Rassembler une équipe, la former, c’est un travail de plusieurs années, le travail d’une vie. J’avais plus d’une centaine de personnes et du jour au lendemain j’ai du les laisser partir. Ça fait très mal. Voir partir tout le monde, c’est terrible. Mais c’est ce que nous devions faire. Il n’y avait pas d’autre solution. New York ça n’est pas la France, il n’y a pas vraiment chômage partiel. Quand nous avons reçu l’obligation de fermer, le plus sécurisant pour nos employés été d’être licenciés pour avoir droit aux aides mises en place par l’État.
Avez-vous réussi à garder quelques éléments essentiels de votre restaurant ?
Malheureusement de nombreux membres de l’équipe sont repartis dans leur famille ou dans leur pays. Quand nous avons décidé de les rapeller pour l’ouverture de septembre, certains étaient à Singapour, en Europe ou dans un autre État américain. C’est une perte totale de savoir faire ! J’ai tout tenté pour garder les piliers de notre restaurant mais sur une équipe de plus d’une centaine de personnes vous ne pouvez le faire qu’avec une douzaine de personnes.
Quelles sont les aides dont vous disposez ?
C’est la grande différence par rapport à la France : nous sommes livrés à nous-même. On a eu un peu d’aide mais elle à tardé à venir. Après il peut y avoir une négociation avec l’immeuble pour nos loyers. Certains immeubles acceptent de soutenir les restaurateurs, plus ou moins, d’autres non.
Quel est votre vision de l’avenir proche aux États-Unis ?
Je suis plutôt optimiste. Les choses vont aller mieux très vite. Le gouvernement fédéral a investi très tôt sur le vaccin, ils ont mis les moyens financiers, techniques et logistiques. Ça fonctionne très bien. L’épidémie à New York a été violente. Nous nous souvenons des camions frigorifiques et des cimetières temporaires, de la violente crise hospitalière. La réponse américaine est à la hauteur de cette violente pandémie. Ici chacun a envie de s’en sortir et vite : la clientèle revient le weekend, la vaccination marche à plein, nous avons mis en place des procédures sanitaires renforcées et accueillons des clients tant en terrasse qu’à l’intérieur. Nous allons y arriver !
Comment faites-vous ?
Soixante personnes à l’intérieur et quarante à l’extérieur. Nous arrivons à faire deux services. Chacun se retrousse les manches. Nous misons sur la sécurité et le bien être et grâce à l’espace que nous avons, c’est possible. Et c’est aussi possible de faire revenir la clientèle parce que nous offrons aussi un moment de relaxation dans une période angoissante. Certes nous prenons la température et les informations de nos clients mais nous ne sommes pas un hôpital. Nous avons préféré mettre davantage de distance entre les tables que de mettre des séparateurs entre les tables. Avec une équipe réduite d’une cinquantaine de personnes, nous reprenons vie petit à petit.
Quelle est normalement la capacité d'accueil de votre établissement ?
Nous avons normalement 80 places assises dans le grand restaurant et 40 côté bar. Nous avons divisé cela de moitié à l’intérieur. La terrasse extérieure de 40 places s’est révélée indispensable dès que nous avons eu les autorisations. Nous nous sommes bagarrés pour avoir cette terrasse.
Aviez-vous vu les choses venir ?
Pas du tout. Je n’ai pas compris. Nous entendions bien sûr qu’il y avait quelque chose mais quand vous voyez autour de vous que rien ne se passe, vous vous dites que ça va. Nous n’avons réalisé la gravité de la pandémie que lorsque la misère des hôpitaux est devenue visible. Là, il y a eu de la peur. Et ceux qui le pouvaient, nombre de nos clients, sont partis en attendant que tout cela passe. Encore aujourd’hui, une partie de notre clientèle n’est pas encore revenue.
Vous vous êtes battu pour maintenir votre activité pendant ces longs mois. Est-ce que vous avez eu aussi le temps de réfléchir à votre cuisine, à votre travail ?
Je n’ai fait que cela ! Même si ce travail est de longue date pour moi. Je pense que l’on ne fait pas bien notre travail si nous n’y pensons pas tous les jours. Nourrir c’est un acte essentiel qui doit se faire en conscience, en permanence. Je suis arrivé à cette conclusion partagée par de nombreux confrères que nous devons revenir à l’essentiel, chasser le superflu.
Revenir à l’essentiel pour se faire plaisir c’est quoi ?
La carte déjà. Est-ce que vous avez besoin de 25 plats pour vous faire plaisir ? Ne peut-on pas déjà avoir du très bon temps avec 5 ou 6 plats ? Est-ce que toutes les fantaisies sont nécessaires ? La cuisine des grands restaurants était sur une mode où la complexité technique était un absolu. Est-ce vraiment ce que les gens veulent ? Je ne le croyais pas avant. Je le crois encore moins aujourd’hui. Ce retour du produit, qui est une évidence pour ceux qui font bien leur métier s’impose et tant mieux. Je l’ai toujours défendu et aujourd’hui avec encore plus de vigueur : un bon repas c’est plus et c’est mieux. Il faut arrêter avec ces petites bouchées de ceci et de cela. Les gens veulent manger un bon repas et plus ces petites bouchées un peu snobs.
Il y a un mot très utilisé en anglais pour décrire cela, « satisfying ». C’est moins utilisé en France...
Oui ! Absolument. Le mouvement est en marche vers ces produits et repas satisfaisants. Je n’ai pas honte d’utiliser aussi le concept de comfort food. Ce mouvement se fait avec la recherche du produit tracé, fiable et naturel.
Comment en êtes-vous venu à renouer avec votre Alsace natale à New York ?
Cela fait 24 ans que je suis aux États-Unis et New York est une ville vibrante de mille cuisines. Si je ne me suis pas toujours penché de la même façon sur ma cuisine, mon parcours m’y a amené. J’ai commencé par le fameux restaurant Jean-Georges puis j’ai ouvert le Ritz à Central Park. Quand j’ai voulu être à mon compte, je savais que la démarche intérieure devait être sincère : quelle était mon identité ? Je suis revenu naturellement à mes origines alsaciennes, à ces goûts et saveurs. L’Alsace, personne ne connaissait cela ici ! Alors pour retrouver ici ces saveurs et ces goûts, j’ai fait moi-même. Aujourd’hui tout le monde parle de lacto-fermentation. J’en ai toujours fait ! La cuisine alsacienne est bonne pour la santé ! Il y a vingt ans c’était vieux jeu de faire sa choucroute soi-même. Maintenant c’est la tendance. Je n’ai jamais suivi les modes. J’ai suivi mon goût et respecté l’intégrité des produits.
Comment faites-vous pour trouver vos produits alsaciens ? Importez-vous certaines choses ?
Nous produisons tout ici même ! C’est 0% origine d’Alsace ! Ça n’aurait pas de sens d’importer du lard par exemple. Nous avons tout récréé avec des artisans, des petits fermiers et ce que nous savons faire, nous le faisons nous-même. Tenez, je pense à la farine. Nous travaillons avec un moulin de Pennsylvanie, Castle Valley, qui mout encore les céréales à la pierre. Ces produits sont totalement naturels. Nous faisons de merveilleuses pâtes et de délicieux raviolis avec cette farine. Ce produit est tellement exceptionnel que nous le conservons au frigo. Il a également beaucoup moins de gluten. Il faut passer beaucoup de temps pour trouver les producteurs mais à New York c’est possible. J’ai rencontré ainsi une personne qui me fournit quasi exclusivement des pigeons tués à l’étouffée. C’est fantastique des produits comme ça. Pour le beurre, pareil, c’est un beurre cru d’une toute petite ferme. Il est fait main, non pasteurisé. Made in New Jersey. Le lard c’est un lard fumé du New Hampshire ! Il faut faire beaucoup de recherche mais on trouve tout !
Que pensez-vous de la tendance du « farm to table » ?
Je rigole ! Ceux qui découvrent le farm to table aujourd’hui faisaient mal leur travail hier. Mais on ne va pas se plaindre. Tant mieux. Je n’ai jamais fait que cela et j’ai toujours cuisiné avec mes tripes, mes convictions, mon histoire. Quand je fais un menu, je fais d’abord la cuisine pour moi. Je ne fais que ce que j’ai envie de manger ! Et mon histoire est double paysanne et alsacienne. Ma conviction première c’est que les paysans doivent être défendus ! On parle de taxe carbone mais je pense qu’il faudrait aussi taxer l’industrie agroalimentaire — c’est un enjeu de santé publique aussi — pour redistribuer aux petits paysans qui eux font du bon, ne trafiquent pas les produits. Et ce qui est valable pour la terre est valable pour la mer. J’ai longtemps travaillé un fournisseur, Dock to dish, qui nous donnait une fois par semaine un paquet surprise et tout est péché selon des techniques douces et soutenables.
D’où vous vient cet attachement à l’agriculture paysanne ?
J’ai grandi dans une ferme du village de Niederschaeffolsheim à quelques pas de Haguenau en Alsace du nord. A l’époque il y avait près de 80 fermes dans les environs. Aujourd’hui elles ne sont plus que quatre. Et j’ai grandi dans une culture où l’on tuait le cochon, où l’on vivait au rythme des saisons et des traditions. Et des repas ! Dans ma famille il y a avait de tout de la ferme à la table ! J’avais dans ma famille des agriculteurs, un boucher, un pâtissier et un oncle restaurateur et hôtelier chez lequel j’ai fait mon apprentissage. En 1987, j’ai commencé à gagner le concours régional des meilleurs apprentis de France qui m’ont permis d’aller à Paris où j’ai gagné dans la fameuse école Ferrandi le concours de meilleur apprenti de France. Tous les autres venaient de restaurants étoilés et moi de nulle part ! Je n’étais pas peu fier !
Quel souvenir gardez-vous de Paris ?
Je vais vous raconter une histoire : quand je suis arrivé à Paris pour ces concours, j’ai voulu aller visiter les palaces. Le Ritz, le Crillon, etc. Tous me refusaient l’entrée parce que j’étais jeune et que je portais un jean. C’est une des premières impressions de Paris. Une culture un peu snobinarde. La culture que j’essaye d’avoir dans mon restaurant est à l’opposé de cela. J’aime la convivialité, que les gens se sentent à l’aise et puissent même manger avec les mains certaines pièces ! Bref, pour se faire plaisir, pas besoin de cravate ! Aller au restaurant ça n’est pas aller à l’Église quand même !
Est-ce que vous pourriez revenir en France à présent ?
Non, je ne crois pas. J’adore New York. J’adore l’ouverture d’esprit ici. Le laisser faire. La liberté. Je suis très vite aller goûter l’Amérique et c’est un tout autre art de vivre. J’ai toujours suivi cette recherche que je n’aurais pas pu mener de la même façon en France qui a une culture plus snobinarde : qu’est-ce qui vous fait plaisir ? Est-ce que c’est seulement le vin, la bouffe ou autre chose ? Ma thèse est que ce qui fait qu’un lieu est un endroit agréable c’est d’abord l’humain. Et il en est assez peu question en France. Moi si je vous invite chez moi, que vous y venez, c’est comme si vous veniez à ma table : vous faîtes partie de la famille. Je m’engage autant que vous vous engagez avec moi. Ce qui me permet de vous guider pour découvrir de nouvelles choses ! J’invite les clients à vivre leurs sens et donc à toucher la nourriture quand c’est nécessaire. Manger une cuisse de pigeonneau à la main c’est exquis ! Ou certains coquillages ! Et aux Etats-Unis comme en Europe, faire manger vos clients avec les mains, ça n’est pas naturel. Ils doivent vous faire confiance et ils passent du coup un moment très détendu et très ludique. Le plaisir est sans doute ici teinté de cette bonhommie alsacienne que j’aime.
Peut-on dire que votre cuisine alsacienne est une proposition faite de plaisirs régressifs ?
Oui, c’est exactement cela. J’aime les plats régressifs dont le souvenir vient souvent de mon enfance. Une cuisine qui a les pieds sur terre et qui est bien faite, bien exécutée, remise au goût du jour. Qui vous fait vous sentir bien. Un peu plus heureux. Qui vous donne envie de vous lécher les babines et d’y revenir ! C’est ça mon approche. Et ça marche ici ! Les gens se prennent au jeu. Et quand c’est le cas, l’ambiance est extraordinaire. La convivialité, la fête et la bonne humeur sont là ! C’est pas très parisien tout cela ! Ça appartient davantage à la culture alsacienne où l’on passe trois à quatre heures à tables… où l’on quitte la table du déjeuner à l’heure du dîner !
Qu’est-ce qu’une cuisine d’enfance bien faite par un Alsacien à New York ?
Ce que j’aime bien faire c’est d’utiliser des bocaux où je vais cuire des pieds de veau avec de la truffe… Quand le client ouvre son pot, on les laisse faire, ça envoie ! Ce parfum c’est déjà la moitié du plat. Tout cela va avec une mousse de pomme de terre ou de topinambours au siphon. C’est aussi cette tartelette craquante avec une base de choucroute au vin blanc sec, avec de l’esturgeon fumé et au-dessus, une mousse au Riesling, du caviar, avec une jolie fumée… Je crois que certains alsaciens pourraient m’en vouloir de toucher à la sacro-sainte choucroute ainsi mais c’est ce que j’aime : mêler les produits bruts, les plus simples, les plus pauvres à des produits plus sophistiqués. L’esturgeon comme poisson n’intéresse personne, pourtant c’est extraordinaire. Et il vient parfaitement se marier au caviar et c’est en même temps un pied de nez. C’est ça que j’aime, les contrastes.
Cuisiner c’est transgresser ?
Non, cuisiner c’est respecter le vivant. C’est ce que l’on a oublié et c’est choquant. On a oublié que la viande que vous avez entre vos mains est le résultat du sacrifice d’un animal. Et cet animal doit être respecté. Ça commence déjà par le fait d’utiliser tout le produit. De bien le cuisiner. D’aimer le préparer. Il faut arrêter de ne cuisiner que du filet de bœuf ! Et pour ce qui est des abattages, il faut que cela soit fait humainement. J’ai grandi comme ça et je continue comme ça. J’ai un tout petit fournisseur de truites. Cela fait 70 ans que cette pisciculture est dans la même famille. C’est eux qui abattent les truites à la main. Ça nous oblige : le produit doit être honoré, par le cuisinier comme par le client. Trop de produits ont été galvaudés. Le premium, plus personne ne sait ce que cela veut dire. Il faut retourner aux choses simples, à taille d’homme, de famille. Cuisiner pour l’autre.
Les chefs ne cuisinent-ils pas forcément pour les autres ?
Ah non. Il y avait une folie avant cette pandémie. Certains chefs cuisinaient d’abord pour épater les autres chefs.
Vu des États-Unis, y a-t-il lieu de s’inquiéter du mouvement vegan ?
Le véganisme est une mode. La tendance est aussi aux allergies. Certaines sont tout à fait réelles, entendons-nous bien. Mais souvent, en praticien de la cuisine, j’ai pu observer que certaines allergies étaient aussi un prétexte un peu chic pour éviter de dire « je n’aime pas cela », ce qui est le strict droit de chacun, bien sûr. Un jour, un client me signale qu’il est vegan. Ses amis prennent du foie gras. Une fois tout le monde servi, il m’a demandé ce que c’était et a demandé à manger la même chose qu’eux… et je vous assure, il a trouvé cela très bon ! Il y a ensuite une catégorie de clients qui décident que tel ou tel jour ils mangent vegan. C’est vieux comme le monde. Tout cela a été poussé par une mauvaise presse. Je ne pense pas qu'il y a lieu de s'inquiéter mais plutôt de se méfier de ces modes.
Que pensez-vous des alternatives à la viande ? Que ce soit la viande dite « végétale » ou la viande cellulaire ?
Je suis très sceptique sur la viande végétale. Quand on sait comme le soja est fait, manipulé, ça ne m’étonnerait pas que ce ne soit pas très sain pour l’être humain. On le saura dans vingt ans. D’un autre côté, je suis clair aussi, côté viande, il y a des abus très graves depuis longtemps. Les animaux trafiqués et transgéniques, c’est pas bon non plus. Il faut du sain. Personne n’a besoin de manger 600g de steak par jour. Et c’est pareil pour le poisson. Alors quant à la viande cellulaire… dites-vous bien que les lobbys industriels qui poussent ces choses là ne mangeraient pour rien au monde leur produit. Et n’en donneraient pas à leurs enfants. Bill Gates, ses gamins ne sont pas sur l’ordinateur ou le téléphone portable. Ces gens ne sont pas fous. Ils savent très bien les dégâts que peuvent causer leurs technologies. La science permet de découvrir des choses mais attention aux conséquences sur la santé publique. Pour eux c’est juste du business. Moi si je vous offre quelque chose à table, non seulement je l’ai produit moi-même mais je le mange aussi !
Qu’est-ce qu’une viande éthique ?
Moi je crois qu’il faut répéter cela : l’important est dans la mesure, dans l’humain. Il faut élever les animaux humainement. Il faut les tuer le plus humainement possible. Les honorer. C’est ça une viande éthique. J’ai toujours fait ça.
Comment êtes-vous parvenu à expliquer aux Américains ce qu’est l’Alsace ?
C’est très simple. À New York nous sommes au carrefour de toutes les cultures du monde alors la cuisine fusion est très connue. La cuisine fusion entre la cuisine asiatique et la cuisine occidentale par exemple. Je leur explique donc que c’est la même chose. La cuisine alsacienne c’est une cuisine fusion entre la robustesse et le confort de la cuisine allemande, disons héritière du Saint-Empire, avec ses variantes hongroises, autrichiennes, d’une Europe du Danube, jusqu’à la Suisse, avec la finesse et le raffinement technique de la cuisine française. Les origines de ma comfort food alsacienne sont dans cette fusion et dans cet équilibre !
Quelles sont vos saveurs d’enfance ?
Je dirais la tarte flambée. Nous avions un four à bois à la maison pour les cuire. Et puis évidemment, la choucroute, le chou farci. Le pigeonneau aussi puisque nous avions des pigeonneaux à la ferme. Tout le cochon… Les poissons d’eau douce comme la truite. Le canard. J’ai repris cette saveur dans mon restaurant. Le canard est vieilli, maturé deux semaines, puis fumé au foin. C’est exceptionnel. Mes plats sont connectés aux goûts de mon enfance et modernisés.
Et vos produits fétiches aujourd’hui ?
Je ne sais pas si j’ai des produits fétiches mais j’aime bien sûr les bonnes choses, le foie gras, le bon turbot, un beau homard, la truffe, blanche ou noire. On rêve de ces produits là quand on a grandi petit dans une ferme. Ils me font toujours rêver. Et j’aime les marier aux saveurs simples qui me touchent, qui sont celles de mon enfance.
Quelles sont les autres personnes qui ont aidé à faire connaître la cuisine alsacienne outre-Atlantique ?
Anthony Bourdain par exemple. C’était une personne qui se foutait complètement de l’artifice et ne recherchait que la vérité.
Quel est votre prochain challenge ?
Aujourd’hui et demain déjà ! Mais plus sérieusement, un livre de cuisine commencé il y a trois ans. Il sera question d’Alsace, de cuisine fermière, de l’héritage de celle-ci dans ma cuisine d’aujourd’hui.
Un vin d’Alsace ?
Les vins de Pierre Trimbach. Un clos Saint-Hune. Anthologique. Ou un Pinot Gris ou un Gewurztraminer sélection de grains nobles. Et sinon pour le reste, je suis un très grand amateur de Bordeaux !
Quel est le plus compliment que vous ayez reçu pour votre cuisine à New York ?
Ah ! Je pense à Antoine Westermann, chef alsacien trois étoiles mondialement connu. Il a goûté ma choucroute et m'en a félicité. Un compliment comme ça, reçu à New York, loin du terroir alsacien, ça fait forcément très plaisir.
Quel est votre secret pour réussir ces plats comme la choucroute qui paraissent simples ?
J’ai appris avec les anciens le plus important : pourquoi faire les choses. Ils m’ont transmis le savoir de chaque geste, de chaque étape. Pourquoi chaque étape est essentielle. Souvent les jeunes veulent prendre des raccourcis, aller plus vite. Quand on sait pourquoi, on ne saute pas les étapes. Le goût du vrai, c’est aussi du temps et de la transmission. Je suis très heureux de voir que les jeunes que j’ai dans mon restaurant sont attachés à ces gestes, à ces savoirs et écoutent beaucoup. Ils ont soif de ces connaissances ! Ensuite la mémoire, c’est la banque de données du goût. C’est immatériel et pourtant c’est là. C’est une éducation. Je crois à l’initiation, je crois à la cellule familiale qui transmet le goût des bonnes choses, qui vient fixer des références pour la vie. Il y a une forme d’apprentissage. Il faut absolument que le moment du repas reste un moment sacré. On peut être inquiet quand on observe que celui-ci n’est plus pris ensemble ou avec des écrans qui viennent briser ce moment.
Qui vous a transmis ces goûts ?
Ma famille et mes pairs. J’ai toujours une émotion quand j’y songe. En plein apprentissage, mon oncle m’a fait goûter un Hospice de Beaune de 1951. « Goûte parce que c’est génial ». Encore aujourd’hui je me souviens du goût. Ça a déclenché une passion, une envie de connaître le vin pour mieux l’apprécier encore. Ça fixe des standards. Plus tard, Eckart Witzigmann, chef trois étoiles, un des plus grands, m’a fait goûter l’eau de vie tyrolienne Rochelt. Ce n’est que du fruit. J’ai une poire Williams incroyable. Je me suis battu pour la faire importer. Et c’est extraordinaire !
Il va falloir que nous vous fassions goûter le Kirsch fermier AOC de Fougerolles de la ferme du Chassard !
(Rires) Avec plaisir ! Ces produits là sont à préserver à tout prix. J’ai des souvenirs merveilleux de distillation au village. Nous mettions une palette de porc entière ficelée dans la première cuisson des fruits. Ça cuisait dedans, oui, avec les fruits, dans la cuve ! Une fois que c’était fini, hop, on retirait le morceau par la ficelle. C’était extraordinaire. Ce sont là bien plus que des traditions.
Un motif d’espoir pour l’avenir ?
La jeunesse ! Cette nouvelle génération recherche une raison d’être et veut faire la différence, connaître le vrai, revenir à l’essentiel. Et ils ne discutent pas, ne transigent pas. Ils sont, comme on dit aux États-Unis, « my way
or the high way », c’est ça ou rien. Et je trouve ça formidable. C'est une belle énergie.
Les bonnes adresses de Gabriel Kreuther
Beurre
"Bobolink Dairy and Bakehouse dans le New Jersey. Ils font un super beurre."
Porc
"Je choisis le Berkshire Heritage Pork. Je l'achète via D'Artagnan."
Foie-gras
"Depuis 20 ans, en direct de la Belle Farm à Ferndale dans l'État de New York."
Canard
"Je choisis un Crescent Duck de Long Island via D'Artagnan. Je le mature deux semaines avant de le fumer."
Truite
"En direct de Green Walk Hatchery à Bangor en Pennsylvanie."
Farine
"Castle Valley Mill. Un endroit et un produit extraordinaire."
Poisson
"Dock to dish ! Évidemment. Du poisson new yorkais bien pêché !"
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