Interview de Michel Roth
Cella a interviewé Michel Roth, parrain des producteurs sourcés et sélectionnés. Originaire de Sarreguemines en Moselle, le chef se confie.
"Il y a un retour au marché et aux petits producteurs"
Quel est votre meilleur souvenir de carrière ?
Il y en a de nombreux ! Mais quand j'y pense, c'est ce moment où j’ai eu la chance de gagner le Bocuse d’Or. C’est un peu comme les jeux olympiques. Vingt-quatre pays concourent et soudain, je gagne. Là, il y a l’hymne national. C’est quand même rare d’avoir l’hymne national dans notre domaine qu'est la cuisine. Je m’en souviendrai toujours. On pleure comme on dit. Je suis fier d’avoir réussi ce concours. Je l’ai fait comme un devoir pour mon pays. Tu le gagnes pour la cuisine française, la tête dans les nuages et autour de moi j'étais très heureux d'avoir mes parrains, mes maîtres et ma famille. Il faut le vivre. C'est unique.
Qui est votre maître ?
C'est Monsieur Guy Legay qui m’a amené à connaître mon métier. Cuisiner ! Je suis toujours en contact avec Monsieur Legay et il a formé plein de chefs. Si Monsieur Legay devait être un footballeur ce serait Zidane. Il a autant de titres comme joueur que comme entraîneur. Il était peut-être moins médiatique que des chefs comme Joël Robuchon mais c'est sans doute une question de génération. Il est à mes yeux un très grand.
À quoi reconnaît-on un "bon produit" ?
Chaque produit est différent mais je dirais qu'avant tout un bon produit c’est la beauté à l’état brut. Reconnaître un bon produit passe par le regard. Je regarde sa clarté, sa brillance, sa netteté. Et puis d'autres sens interviennent. Le toucher par exemple. Je vais sentir la fermeté d'une viande. Et l'odorat compte aussi ! Ce qui est important pour commencer avant de parler du produit c'est de respecter et connaître les saisons. C'est d'être curieux et d'aller chercher son origine et si c'est possible, le producteur.
Si un produit devait résumer votre enfance ?
La mirabelle ! Je la mangeais chez mes beaux parents à Hambach en Moselle. Je reste très attaché à ce pays et ma famille y vit toujours. Il y avait là un magnifique verger où nous allions. Nous nous y retrouvions, c'était une tradition. Ils avaient ces arbres fruitiers étendus dans le verger et j'ai le souvenir depuis tout petit d'y être allé cueillir les mirabelles avec mes mains, sur l'arbre. Tout commence par ces moments ensemble avec ma famille. Il y ce moment du dénoyautage que l'on fait tous ensemble car le fruit est fragile. J'ai le souvenir de cette attente de ce fruit rare et de sa saison courte, à la fin du mois d'août. C’est sans doute là que j’ai eu envie de faire de la cuisine.
Comment avez-vous envie de la cuisiner maintenant ?
On connaît la tarte bien sûr ! Mais je l’utilise aussi avec des plats salés, en chutney par exemple. J'en ai très envie avec une belle volaille comme un canard. J’ai même en tête une recette que je faisais au Ritz et que je perpétue, un grenadin de veau avec des mirabelles poêlées. La mirabelle est fruit magnifique qui apporte une subtilité quand on l'utilise comme un condiment.
Quel est le secret pour réussir une cuisson d’une côte de bœuf ?
Il faut que la côte de bœuf soit bien saisie évidemment et qu’à l’intérieur elle reste saignante voire bleue. Mais le secret c'est celui-ci : prendre son temps ! On ne cuit pas une viande comme celle-ci pour la manger immédiatement. Il faut la faire reposer ! Et tout en la laissant reposer, il faut la retourner que que le sang se diffuse dans la viande et permette à la viande de garder sa couleur. Ce qui est vrai pour cette cuisson rôtie est valable aussi pour les autres viandes rôties. Cuisiner, c'est prendre son temps.
Les petits enfants sont derrière vous, qu’avez-vous cuisiné pour eux ce midi ?
Une escalope de veau à la crème qui vient des producteurs de Cella ! Mais sans mirabelles (rires) ! Avec de la ciboulette pour mettre de la fraicheur et de la couleur, des petits lardons de jolies petites pâtes. Tout simple !
La pandémie a-t-elle bouleversé notre rapport à l’alimentation ?
Le retour au vrai produit était déjà là. Nous étions déjà dans une période où le souci d'une alimentation plus saine, la question du bien-être et l'anti-gaspillage dominait. Et tant mieux ! La pandémie a accentué tout ça et en cela, je le crois, la pandémie a apporté du bon. On le voit : il y a un retour au marché et aux petits producteurs. L'envie de prendre soin du vivant, de l'animal. C'est vraiment une bonne chose pour l'après cette envie de proximité retrouvée avec le produit. Il faut que cela reste !
"Cette période nous a obligé à prendre le temps. Et ça commence par prendre le temps de cuisiner mais aussi de déguster. Je ne dis pas qu'il faut réapprendre à manger mais presque."
Est-ce tout ?
Non, je crois que cette période nous a obligé à prendre le temps. Et ça commence par prendre le temps de cuisiner mais aussi de déguster. Je ne dis pas qu'il faut réapprendre à manger mais presque. Réapprendre à goûter, à savourer, à déguster. Tout simplement et ensemble. Pour soi-même et pour l'autre. Même dans cette période où nous sommes masqués, le seul moment où l'on peut l'enlever est ce moment de convivialité. Il nous reste ça.
Qu’est-ce que vous aimez cuisiner à la maison pour vos proches ?
Je pars sans idée. Je me laisse porter par les produits. C'est mon marché qui me guide. Cela peut être du lapin, des légumes oubliés, un mélange de fruits avec des légumes, des coquillages, quelque fois des produits que les enfants n’aiment pas trop. J'essaye ! Avec les enfants ce qui marche très bien c'est le croustillant et le pané. Si je sais qu'un produit est compliqué pour eux j’essaye de dévier tout en restant très simple. Les épinards frais, je les fais juste tomber dans un poêlon avec un peu de beurre et de sel, ça suffit ! Je sers cela avec un poisson frais pané avec de la poudre d’amande. Ça se sont des textures que les enfants aiment.
Il faut tricher un peu alors ?
On ne triche pas : on reste dans le réel ! Avec de vrais produits. Justement, cuisiner c'est rester dans le réel. Une bonne purée ça se fait maison, c’est pas pareil qu'une purée industrielle. Et ça fait toute la différence.
Un bon dimanche ?
Un bon dimanche c'est pour moi un dimanche en famille où je prends le temps de déguster une bonne volaille rôtie, un gigot d’agneau de plusieurs heures. Dimanche pour moi est synonyme d'un plat traditionnel réconfortant avec un gâteau maison, des babas au rhum ou des profiteroles ! C'est gourmand et ça fait du bien.
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